1. Caractéristiques du normand
Une langue complète
H. Gancel, dans l'intro de "V'n-ous d'aveu mei ?", nous rappelle une chose importante : "Jusqu'ici aucun livre ne vous a proposé un enseignement de la langue
normande. Or, beaucoup de Normands pensent parler ce qu'on leur dit être un patois, c'est-à-dire une langue vulgaire, une sorte de mauvais français
déformé par leur ignorance. Ceci est faux. Ce que parlent vos parents, vos grands-parents, ce qu'ont parlé vos pères est bel et bien une langue comme
toutes les autres. Soyez-en convaincus. (...) Vous en découvrirez l'originalité et la richesse. Notre langue, comme les autres, se parle et s'écrit.
Ainsi très bientôt vous pourrez parler, lire, écrire notre normand, d'une façon spontanée et naturelle."
Jacques MAUVOISIN, universitaire et spécialiste du sujet, ancien
président de l'Association de Défense et de Promotion des Langues d'oïl (DPLO), a organisé
quelques conférences sur la langue normande. Voici un résumé des points
essentiels qu'il développe :
Le normand est une langue à part entière, ce qui est prouvé par:
- L'abondance du vocabulaire : 60 glossaires et dictionnaires
- 200 radicaux spécifiques, soit environ 1000 mots, issus du norois
(apport des Vikings).
- Une grammaire partiellement originale
- Une littérature abondante : Une centaine d'écrivains recensés au nord de la ligne Joret (ligne qui sépare les
populations selon leurs différences de prononciation). Depuis un
siècle, 80% des écrivains en langue normande sont originaires de
Basse-Normandie, et cette tendance s'accentue de nos jours. la langue est
pour ces écrivains un élément fort de revendication de culture.
Un riche vocabulaire
Découvrez un exemple saisissant de la richesse du normand en parcourant le
vocabulaire des pluies (cf menu principal)
Pour illustrer encore la précision de la langue, voici un extrait de Flleurs et plleurs dé men villâche,
roman autobiographique d'André Smilly :
Normand
Sitôt qu'ol écalit ses uûs, des graunds uûs blleus qui savaient pus
mais dauns par éyoù qu'il-en n' taient, no li fit chuchi eune pyirre
dé chuque d'aveu eun lermot.
Aô couop, touot li ramountit dauns tête. O s'écllatit à plleuraer
d'aveu des couops d' sacquet dauns lli à faire poe.
Quaund men père s'acachit, accroqui pas l' deû, ses gaumbes li
faunfluaunt, exempt d' prêchi, coume éguéré, o l' vit sus li ses
uûs qu'o l' ssit lôtemps dauns les syins aô bouohoume; o li
avaunchit ses deigts gllèchis, bllauncs coume des peis.
Traduction
Dès qu'elle ouvrit les yeux, de grands yeux bleus qui ne savaient plus
où ils en étaient, on lui fit sucer un morceau de sucre arrosé
d'eau-de-vie.
A l'instant, tout lui revint à l'esprit. Elle fondit en larmes,
agitées de secousses violentes qui faisaient peur.
Quand mon père arriva, cassé par la douleur, les jambes chancelantes,
incapable de parler, comme égaré, elle leva sur lui des yeux qu'elle
laissa longtemps dans ceux du bonhomme; elle tendit ses doigts glacés,
blancs comme des suaires.
Quelques règles de
prononciation
- devant un é ou un i, qu se prononce tch (qui se lit tchi) : eun quoeu
se dit un tcheu.
- qu peut aussi se prononcer que (quétoun se lit quéton)
- gu se prononce gue : guette (regarde) se dit djette.
- ll se prononce y (bllé se dit byé)
- h est très guttural (héreng se lit rhéran), à l'instar du j
espagnol ou du ch allemand.
- le h peut aussi ne pas se prononcer (hivé se lit ivé)
- yin se prononce yi ou i. Quyin se lit tchyi ou tchi.
- men se prononce man devant une consonne ou un h aspiré
- men se prononce m’n devant une voyelle ou un h muet (de même pour
ten, sen)
- les se prononce lé devant une consonne ou un h aspiré
- les se prononce l’z devant une voyelle ou un h muet (on écrit les
éfaunts , on dit l’z éfaunts)
- le e sans accent se ne prononçant pas, belin se dit blin. Toutefois,
quand on veut prononcer le e, on le signale par un accent (lé quemin, se
lit le qu’min, le quémin se lit l’quemin)
- le é accentué se prononce é (rébelot se dit réblo)
- la graphie aun se lit an
- la graphie oun se lit on
Citons Barbey
d'Aurevilly...
Ce grand auteur explique et justifie l'emploi du normand dans son roman
"Une vieille maîtresse" (lettres à Trébutien):
"Vous verrez que je n'y parlerai pas normand du bout des lèvres, mais
hardiment, sans bégaiement, comme un homme qui n'a pas désappris la
langue du terroir dans les salons de Paris et qui parle, comme un
descendant des pêcheurs, pirates "d'azur à deux barbets adossés et
écaillés d'argent".
J'ai déjà dit deux mots de ma vieille Normandie. La côte de la Manche
est peinte à grands traits dans le second volume de Vellini, et les
poissonniers y parlent comme des poissonniers véritables. Est-ce que
Shakespeare, s'il avait été normand tout entier au lieu de l'être à
moitié, aurait eu peur de notre patois ?..
Vous verrez quelle langue c'est, et quel patois !"
Le normand, langue
officielle des îles Anglo-normandes.
Le normand a été la langue officielle de la cour d'Angleterre
jusqu'au milieu du 14e siècle. Il constitue encore aujourd'hui
la langue officielle, judiciaire et administrative des Iles
Anglo-normandes. Le normand a donné à la langue anglaise une bonne partie
de son vocabulaire ! (cat, chair, candel, garden, can, fork...)
A Jersey, la langue normande est une véritable institution qui possède
ses structures et ses médias spécifiques. L'enseignement du
normand y est officiel.
Si vous croyez encore que le normand n'est qu'une pâle copie du français,
allez donc à Jersey et rencontrez quelques anciens de l'île. La plupart
ne connaissent pas un mot de français. Ils s'adressent à vous dans leurs
deux langues maternelles : l'anglais et le jerriais, cette variante du
normand qui a traversé les siècles. C'est à la fois étonnant et
émouvant.
Les mots normands au
Québec
Guillaume Marois, un correspondant du Québec, nous donne des informations
à ce sujet :
" Je m'intéresse depuis un certain temps déjà à la langue
normande, et j'ai remarqué qu'aucun site ne mentionne le fait que
plusieurs expressions et mots normands sont encore bien présents au
Québec. La raison en est simple : la Nouvelle-France fut peuplée
essentiellement de Normands. Comme l'Angleterre a pris le contrôle de la
colonie pas longtemps après, la langue normande n'a pu être complètement
rayée du langage local par le biais des politiques d'assimilation au
français par les autorités françaises. Cette langue a fortement
influencé le parlé des Québécois. De plus, notre prononciation de
certains mots est très similaire. Voici une petite liste :
- abrier = abrier (y faut s'abrier, y fait frète !)
- achteu = a-c't'heure
- adreit = adrète (y'est adrète)
- barbouilli = barbouilli (t'es toute barbouilli, va te laver !)
- décembe = décembe
- dreit = drète (c'est pas drète)
- è = a
- éga ! = ga ! (ga ça !)
- itou = itou, aussi utilisé lors de phrases interrogation sous
- la prononciation "tu", comme dans "on y va-tu ?".
- lo = lo (y'est lo)
- neire = noère (y fait noère icitte)
- novembe = novembe
- quiques = queques, kek (kekun, kekchose)
- sacraer = sacrer (arrête de sacrer !)
- v'lo = v'lo (le v'lo !)
- y = y (qu'est-ce qu'y fait ?)
La
Fête des Rouaisouns
Cette manifestation permet de rassembler toutes les communautés
d'expression normande, des Iles anglo-normandes à la Seine-Maritime, en
passant par tous les terroirs de Normandie. Elle a été mise en oeuvre par
Jean Margueritte (journaliste de renom à la Presse de la Manche) et
l'association Montebourg-Guernesey qui ont concrétisé ce que bien des
acteurs de la langue normande souhaitaient depuis longtemps.
Cette grande fête se déroule tous les ans en un lieu différent. Ce
regroupement haut en couleurs et en musiques permet de rencontrer et
d'écouter des chanteurs, des écrivains et des conteurs fédérés par
une passion commune : la langue du pays.