1ère partie
1 - Les mots d'origine
scandinave
Savez-vous qu’un très grand nombre de mots du vocabulaire normand sont d’origine
scandinave ?
En effet, les Vikings, en peuplant la Neustrie (nom porté par la Normandie
avant les Vikings) et en fondant le duché de Normandie en 911, ont
apporté avec eux, en plus de leurs navires, leur langue et son
vocabulaire. Une partie de ce vocabulaire est ensuite restée dans notre
langue normande et est parvenue jusqu’à nous en traversant les siècles.
Ainsi une
kanne à lait, mot que tout le monde connaît à la
campagne vient de « kanna », qui en vieux scandinave signifie «
récipient ». De même le mot
bru (la belle fille) vient de «
brydh » qui veut dire « la fiancée ».
Cette imprégnation du parler normand par le vocabulaire et la grammaire
scandinave (viking) s’est faite dans de nombreux domaines. Par exemple :
La description du paysage : ainsi, le mot «
bec » (le Bec-
Hellouin) tire son origine du mot « bekkur » qui en Viking signifie «
ruisseau », ou bien le mot «
mare » qui vient du scandinave
ancien « marr » signifiant « étendue d’eau ». Et Dieu sait si les
mares sont nombreuses en Normandie.
Les noms de plusieurs centaines de nos villes et de nos villages sont issus
du scandinave ancien. Par exemple,
Routot (le domaine de Rolf) ;
Elbeuf
(la chaumière des puits) ;
Ecaquelon (le bois des voleurs) ;
Catelon
(le bois du bétail ou du chaudron). De même, un certain nombre de noms de
famille ont réussi à traverser les siècles et à parvenir jusqu’à
nous. Souvenez vous du plus grand coureur cycliste français et normand,
Jacques
Anquetil. Son nom est un patronyme d’origine scandinave «
Askettil » qui signifie le « chaudron des dieux », nom qui était très
à la mode à l’époque des Vikings.
La vie paysanne. Ainsi, mettre une vache
au tierre,
tierrer,
détierrer
provient du mot « tjödr » en vieux scandinave qui signifie « corde à
chevaux ».
La mer et la pêche. Savez-vous que crabe, homard viennent du Viking «
krabi », « hummar »… ?
La marine et la construction navale. Rien d’étonnant à ce que les
Vikings, grands navigateurs qui sont allés en Islande, au Groënland et
jusqu’en Amérique, aient fortement influencé notre vocabulaire. Par
exemple, les mots bateau, étrave, quille, mât, hauban… sont issus du
scandinave ancien.
Le droit et la justice. Ainsi, le mot meurtre non seulement est d’origine
Viking, mais correspond à un degré dans la hiérarchie des crimes du
droit scandinave.
La botanique aussi mais à un degré moindre. Par exemple, les
dogues,
mauvaises herbes bien connues des Normands. Et bien le mot vient de « doga
» qui signifie « mauvaises herbes » en norrois (langue scandinave
ancienne).
Tout ce vocabulaire d’origine scandinave qui a envahi pratiquement tous
les domaines de l’activité humaine du Moyen Âge montre bien que les
Vikings, qui étaient de grands guerriers et des conquérants étaient
aussi et peut-être avant tout des marins, des pêcheurs, des paysans et
des commerçants apportant avec eux technologies et vocabulaire
correspondant.
Mais ce n’est pas tout. Saviez-vous que notre langue normande a d’autres
originalités, qui méritent notre attention et que la langue normande a
joué un grand rôle dans :
La
formation de la langue française : Nord, Sud, Est, Ouest sont
des mots d’origine normande, issus du scandinave.
La
formation de la langue anglaise. Des centaines de mots du
vocabulaire anglais sont d’origine normande, apportés par les Normands
de Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l’Angleterre en 1066.
Qui penserait que le mot anglais « pocket » (qui veut dire poche) est
issu du normand «
pouquette » ? Et tant d’autres.
2 - La description du
paysage par les Vikings
Au cours de leur progression et de leur installation en Normandie, les
Vikings vont avoir besoin de s’orienter, se repérer et donc de donner
des noms au paysage et aux repères qu’ils utilisent pour se diriger. La
pénétration des Vikings en Normandie va donc s’accompagner d’une
pénétration de termes
norrois (langue des Vikings) décrivant le
paysage dans le parler local. Tout d’abord, il leur est nécessaire de s’orienter
par rapport à des repères fixes et aux étoiles. Et donc «
Nordi,
Sudri, Estri, Vestri », mots vikings désignant les 4 grandes
directions vont devenir normands sous la forme Nord, Sud, Est, Ouest. Les
Vikings arrivant par la mer, il leur est indispensable pour leur
orientation et leur sécurité de donner des noms aux îles, courants,
rochers… qu’ils vont rencontrer. C’est donc en premier lieu le
paysage maritime qui est décrit. Ainsi le terme normand
havre ou
hable
qui désigne un port, un refuge vient de « Häfn » ou « Höfn » qui en
norrois signifie « port ». Par exemple, le Havre de Grâce, le Havre de
Goury, le Hable de Dieppe.
Un
raz en normand est un courant rapide. Il dérive de « Ras » en
norrois qui veut dire « courant, chenal ». Exemple le Raz Blanchard.
Sound, un détroit , vient de « Sund » (même sens). Exemple le
Sound de Chausey.
Le
nez : un cap, un promontoire vient de « Nes » : « un cap ».
Exemple le nez de Jobourg.
Les
grunnes qui sont des hauts fonds par chez nous, a pour origine
« Grunnr » en norrois : « fonds marins, hauts fonds ».
Les
mielles : dunes de sable. Le mot est issu de « Melr » : «
dune ».
Crique vient de « Kriki » (même sens).
Cliff : falaise en vieux normand, vient de « Kliff » (même sens).
Quet, un rocher en mer vient de « Sker ».
Ecore, une berge escarpée vient de « Skorr » : « crevasse ».
Homme, Hommet, Houlme, Hou désignent en normand un îlot. Ces mots
dérivent de « Holmr » : « un îlot » en norrois.
Houl, un creux dans les rochers vient de « Hol » : « creux ».
Estran en normand : partie de la grève ou de la plage comprise
entre marée haute et marée basse vient de « Strand » : « grève, plage
».
Dranguet, rocher pointu isolé en mer vient de « Drangr ».
Ber, un rocher vient de « Berg » : « rocher ». Etc…
Passons maintenant à la description du reste du paysage.
Une
hague qui est une prairie ouverte en normand a pour origine
norroise « Hagi » : « enclos, pâturage » ou « Haka » : «
promontoire ».
Nos nombreuses
mares dérivent du norrois « Marr » qui d’abord
désigne « la mer » puis ensuite « une étendue d’eau ».
Dalle, une vallée en vieux normand vient de « Dallr », « une
vallée » en norrois.
Dick : levée de terre, talus, fossé vient de « Deki » (même
sens). Ce mot est peut-être à l’origine du mot français digue.
Banque est aussi une levée de terre , dont l’origine est « Bank
» (même sens).
Une
londe est un bois, une forêt. Le mot vient de « Lundur » : «
petit bois ».
Un
bec en normand est un ruisseau. Ce mot dérive de « Bekkr » :
« un ruisseau » en norrois.
Flet ou
fliet, un ruisselet vient de « Fljot » : «
ruisselet ».
Hogue, une hauteur, un tertre vient de « Haugr » qui a le même
sens.
Une
houlette : un trou de lapin vient de « Hol » : « creux ».
Un
thuit est un essart, une portion de forêt récemment
défrichée. Le mot vient de « Thveit » (même sens).
La
gare : la berge d’une rivière vient du norrois « Värr ».
Eiki le chêne, boki le bouleau, Eski le frêne, lind le tilleul… Etc…
Nous allons arrêter là notre énumération qui n’est pas complète mais
qui devient fastidieuse pour le lecteur pour aborder deux points
intéressants.
Le premier de ces points est le suivant. Un certain nombre de mots norrois
décrivant le paysage et qui ont pénétré très tôt le vocabulaire
normand ont peu à peu disparu dans le normand plus récent, plus moderne.
Ainsi, par exemple, nous n’utilisons plus les mots dalle, londe, thuit,
cliff… Nous n’utilisons plus bec, le ruisseau mais le mot fliet,
ruisselet, s’est maintenu. Dick a disparu, mais banque s’est conservé
(surtout dans le Cotentin). Cette disparition est mystérieuse et ces mots
ne subsistent plus que dans les noms de nos villes et villages.
La deuxième remarque, et qui est très importante, est qu’un certain
nombre de mots normands d’origine Viking sont passés en Français. Comme
si le normand avait servi de passerelle, de cheval de Troie pour introduire
ces mots dans la langue française. Nous reviendrons à plusieurs reprises
sur cette originalité de notre « prêchi » et nous verrons l’importance
du parler normand et des Normands dans la formation de la langue
française. Ces mots ne sont pas des moindres, par exemple : le Nord, le
Sud, l’Est, l’Ouest, un havre, une crique, l’estran, un raz, un
sound, un nez, une hague (mot que l’on retrouve dans Hector Malot, auteur
normand de la fin du XIXème siècle). Ils font partie du vocabulaire de
base d’une langue et ils étaient très utiles avant le G.P.S.!
3 - Les noms des villes
et des villages 1/2
Saviez-vous qu’entre 400 et 500 villages et villes de Normandie portent
un nom d’origine Viking ? Ce chiffre est quand même relativement
important car lors de la colonisation de la Normandie par les Vikings,
nombre de villages actuels n’existaient pas encore. Ainsi, le Vièvre n’était
qu’une immense forêt et Saint-Grégoire, Saint-Georges, Saint-Pierre,
Saint-Martin, Saint-Firmin, Saint-Benoît… n’existaient pas.
Il y a deux sortes de noms de villages (toponymes) d’origine nordique :
les noms entièrement Viking, par exemple, Écaquelon et les noms se
terminant en « ville » et dont la première partie est un nom Viking, en
général un nom d’homme, par exemple Appeville. Dans la première série
de toponymes, nous allons faire la connaissance de quelques clés qui
permettent de les reconnaître et de les comprendre.
Tout d’abord, les noms qui se terminent en «
tot ». «
Tot » vient de « Toft » qui en norrois désigne un domaine agricole, une
ferme, bâti ou non bâti. Par exemple :
Colletot est le domaine de
« Koli » : nom d’homme Viking.
Ecquetot est le domaine du frêne
: « Eski ».
Épretot est le domaine du tremble : « Espi ».
Aptot
est le domaine des pommes : « Epli, Apli ».
Brestot : « Breidr
», grand et tot, domaine.
Les toponymes en «
bec ». « Bec » nous l’avons vu vient
de « Bekkur » qui veut dire ruisseau en norrois. Le Bec Hellouin : le
ruisseau du chevalier Herluin.
Foulbec : le ruisseau nauséabond.
Caudebec
: le ruisseau froid.
Orbec : le ruisseau aux graviers.
Houlbec
: le ruisseau creux.
Les noms en «
londe », «
lon ». « Londe », « lon »
viennent de « Lundur » : bois, forêt. La forêt de la Londe est donc une
répétition.
Boclon est le bois de bouleau : « Boki », le
bouleau.
Ecquelon, le bois de chêne : « Eiki », le chêne.
Catelon,
le bois de « Kati » (nom d’homme Viking).
Écaquelon : le bois
des voleurs ou bien le bois à l’extrémité d’un champ.
«
Mare » vient de « Marr » : petite étendue d’eau. Exemple
Londemare
: mare de la forêt.
Roumare : la mare de « Rolf » (Rollon 1er Duc
de Normandie).
Limare : « Hlid » : pente.
«
Fleur » semble venir du norrois « Floï » qui désigne une
large baie, un estuaire et se retrouve dans
Honfleur, Harfleur,
Ficquefleur, Barfleur.
Aux toponymes très nombreux, il faut en ajouter d’autres moins
fr��quents : les noms en «
vic » qui désignent une anse, une baie
:
Sanvic, Barvic, Pilvic, Le Cap Lévi (Kapel Vic).
«
Grune » : un haut fond donne par exemple
Langrune.
«
Houle » : creux, se retrouve dans
Houlbec, Cattehoule.
«
Homme », «
hou » : un îlot :
Grand et Petit
Couronne, Quettehou.
Les
Hogues, La
Hougue viennent de « Haugr » : hauteur,
tertre.
Hautot : la ferme d’en haut.
«
Dale » dérive de « Dalr » : une vallée :
Dieppedalle,
Brecquedalle.
La
Haule est issue de « Hallr » : une pente, une déclivité.
Les différents
Havres déjà vus viennent de « Häfn ».
«
Clif » est une falaise (« Klif » en norrois) :
Risleclif,
Carqueclif.
Dieppe : profond (« Djupr ») :
Dieppe, Dieppedalle.
Grestain, Ouestain viennent de « Steinn » : la pierre.
Les toponymes en «
Torp » ou «
Tourp » sont issus de «
Torp » en norrois qui signifie un hameau, un village et vont donner
Le
Torp,
Le Tourps, Saussetour, Clitourps…
Les noms en «
bu », «
bye » viennent de « Byr » : un
village et donnent
Tournebut, Bourguebus…
Le norrois « Bôth » qui désigne une cabane, une chaumière va se
décliner en «
beuf » :
Daubeuf (« Dalr » : vallée) ;
Lindebeuf
(« Lind » : tilleul) ;
Marbeuf (mare et beuf) ;
Quillebeuf
(« Kill » : crique étroite) ;
Elbeuf (« Vella » : source, puits
et beuf).
Les toponymes en «
cote » dérivent du norrois « Kot » qui
désigne une hutte, une cabane :
Caudecotte (« Cald » : froid).
« Skali » qui, en norrois, signifie abri provisoire va donner
Écalles,
Brequecal (« Brekka » :pente).
Les noms en « hus » : Etainhus, Sahurs, Lihurs viennent de « Hus » qui
veut dire maison.
Les toponymes en «
gard » sont issus de « Gardr » qui signifie
enclos, jardin :
Auppegard, Eppegard (« Apli, Epli » : pomme),
Lingard
(« Lind » : tilleul),
Bigard (« By » : abeille).
Les noms en «
thuit » désignent un essart :
Thuit Anger, Thuit
Signol, Thuit Hébert, Thuit Simer, Regnetuit, Bliquetuit, Aptuit,
Blacquetuit… .
Maintenant, interro écrite. Ceux qui arrivent à traduire les 4 noms qui
suivent ont droit à un coup de calva : Lintot, Criquebeuf, Routot,
Épregard.
4 - Les noms des villes
et des villages 2/2
Voyons maintenant les toponymes qui se terminent en “
ville”.
Ils sont très nombreux dans les zones de forte implantation Viking.
Cependant, ils ne sont pas tous d’origine norroise. Un certain nombre d’entre
eux sont antérieurs à la colonisation Viking et les autres sont
contemporains ou postérieurs à cette colonisation.
La terminaison “ville” vient de “Villa”: terme gallo-romain qui
désigne un domaine rural bâti, une ferme, voire un village.
Dans les cas qui nous intéressent la première partie du toponyme est un
mot d’origine scandinave et en général un nom d’homme Viking
(anthroponyme). En voici quelques exemples:
“
Asketill”, anthroponyme Viking signifiant “le chaudron des
dieux”, va donner:
Ancteville, Anctoville, Ancr etteville,
Anquetierville. Il est à noter que “Asketill” va aussi donner le
nom de famille normand
Anquetil.
“
Asulfr”: “le loup des dieux”, va donner:
Auzouville,
Ozeville. Il est à noter également qu’il va donner l’anthroponyme
normand
Auzou.
“
Bjorn”, “Biarni”: l’ours, l’ourson, vont donner
Bourneville,
Bareville, Banneville, Basseneville.
“
Thorstein”: le marteau du dieu Thor va donner
Toutainville
et aussi le nom de famille
Toutain.
Acqueville vient de l’anthroponyme “
Aghi”.
Bolleville vient de “
Bolli”.
Bondeville vient de “
Bondi”. “Bondi” n’est pas un
anthroponyme mais désigne un homme libre, un paysan libre.
Colleville vient de “
Koli”, anthroponyme viking.
Corneville vient de l’anthroponyme “
Korni”.
Ecquemauville vient de l’anthroponyme anglo-scandinave “
Scamel”.
Étreville vient de “
Styrr” qui signifie querelleur.
Mondeville, Émondeville, Émanville viennent de l’anthroponyme
Viking “
Amundi”.
Quetteville, Quettreville, Cretteville viennent de l’anthroponyme
“
Kettil”.
“
Rolf” ou “
Rou”, 1er duc de Normandie que nous avons
vu former les toponymes entièrement Viking (norrois)
Routot et
Roumare
va donner aussi
Rouville.
“
Api” va donner
Appeville.
Sotteville vient de “
Soti” le Brun ou le Noir.
Tourville vient de “
Torfi”.
Touville vient de “
Toli”.
Il y a aussi quelques toponymes se terminant en “ville” qui ne
commencent pas par un nom d’homme ainsi:
Querqueville vient de “
Kirkja”, une église.
Criqueville vient de “
Kriki”, déjà vu dans la
description du paysage: une crique.
Briqueville vient de “
Brekka”, déjà vu également: une
pente.
Vatteville viendrait de “
Vatn” ou “
Vatr”: eau
ou lac.
L’origine de ces noms terminés en “ville” est discutée.
Certains auteurs pensent que la colonisation Viking en Normandie s’étant
étendue sur plus d’un siècle, les derniers arrivés s’installant dans
une Normandie qui parlait déjà plus ou moins le Roman (Français ancien),
auraient désigné leurs nouveaux domaines d’un nom mixte utilisant une
partie scandinave et une partie romane.
D’autres auteurs font très intelligemment remarquer qu’un grand nombre
de ces toponymes en “ville” sont situés à des endroits stratégiques:
croisements de routes, hauteurs, points d’observation et de surveillance,
formant un véritable maillage du territoire et qu’ils auraient pu être
confiés DÈS LE DÉBUT DE LA COLONISATION à des chefs et des personnages
de confiance afin d’assurer la sécurité et la défense du Duché. Ces
points stratégiques auraient pu être débaptisés et rebaptisés avec un
anthroponyme Viking en première partie tout en conservant la terminaison
“Villa” ancienne.