Pourquoi apprendre le normand ? Renaud Girard, professeur d’Histoire-Géographie et… de normand au collège de Bricquebec, nous interpelle : « Faut-il rire ou pleurer de l’état de la langue normande et de son enseignement en 2023 ? »
En parodiant gentiment l’indicatif radiophonique de la France Libre sur les ondes de la BBC, nous ferons le choix du rire. L’humour, n’est-il pas la politesse du désespoir ?
Et puis, de Gaulle et les résistants de 1940 (et jusqu’en 1943) n’étaient-ils pas considérés comme des fous ou des traîtres ?
Pourquoi apprendre le normand ?
C’est établir ou renforcer un lien avec ceux qui nous entourent (parents, grands-parents, oncle, tante, voisins, …). C’est leur manifester de l’intérêt, du respect, de l’affection, parfois même de l’amour.
Goûter la saveur des mots, des expressions, des textes, des contes, des chansons.
Manifester sa curiosité et son appétit pour des connaissances nouvelles.
Par son vocabulaire et ses expressions, la langue normande est riche et savoureuse !
Des milliers de mots normands n’ont pas tout à fait ou pas du tout leur équivalent en français.
Yête frisaé coume eun oeu de bouore (être frisé comme un œuf de cane), c’est être chauve. Le Normand et sa langue seraient-ils facétieux ?
Le vocabulaire normand, dans certains domaines, comme par exemple, pour décrire la pluie et le temps qu’il fait ou pour désigner les chevaux et les vaches, est plus riche et souvent plus imagé et précis que le français.
Par ailleurs, les innombrables dictons constituent à eux seuls une mine d’informations sur le vocabulaire populaire.
Une langue exprime la nature profonde d’un peuple, son identité, son âme.
Le Cotentinais Côtis-Capel l’exprimait ainsi dans son poème Dauns men préchi :
« Dauns men loçeis normaund pique ch’est ainchin qué je prêche
Je guette d’eun bord et de l’âote et touot me vyint coume i deit
Touot m’arrive en débord, touot sé mêle et touot se vouêche
Dauns le loçeis dé tcheu nous, jé ne sis brin à l’étreit. »
« La richesse vient de la diversité » a dit Jean Malaurie, le géographe et fondateur de la collection « Terre humaine ». Ces quelques mots, lus alors que j’avais 12 ou 13 ans, m’ont marqué au fer rouge.
De même, Gilles Perrault déclarait en 1985 qu’ « il ne s’agit pas de jouer le normand contre le français. Il s’agit de sauvegarder un atout. De ne pas laisser s’abolir une différence (et plus le monde va, plus nous comprenons que chaque pays sera riche de toutes ses différences). De ne pas laisser s’effacer une tâche de couleur infiniment précieuse face à l’uniformité menaçante. De conserver aux poètes la possibilité de dire nos paysages et nos gens comme ils devaient l’être. » (PTPN-Le Viquet, n°70, 1985)
C’est découvrir les liens entre le normand et de nombreuses langues :
– le normand est la langue d’oïl qui a le plus influencé le français !!!
Ainsi, de très nombreux mots français liés à la mer, au rivage et à la navigation viennent du normand.
– l’anglais est issu principalement de la langue saxonne et des langues latine, française et normande suite à la conquête de 1066 par Guillaume le Conquérant. Si l’anglais est la plus latine des langues germaniques. Cela vient surtout de l’apport normand aux XI e et XII e s. Chair, cat, candle, fork, garden, coach, fashion, … sont des mots normands (parmi des milliers). Eh, oui ! fashion, c’est normand et le normand, c’est fashion !
– le québécois.
– le créole de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane.
– le sicilien.
On a commencé à écrire en normand avant d’écrire en français !
On a commencé à écrire en normand dès le XIIe s. avec notamment l’écrivain jersiais Wace. A cette date, le roi de France et les Parisiens n’utilisaient encore que le latin. Ce n’est qu’un siècle plus tard, donc au XIIIe s., qu’ils commenceront à user du « patois français » à l’écrit.
Une loi de 1982 autorise l’entrée des langues régionales dans le programme scolaire. Aussi, dans les années 1980, motivés par la défense du normand, une dizaine de collèges de la Manche ont initié leurs élèves. Mais, faute de relève des professeurs partis en retraite et de reconnaissance officielle et de soutien par l’Education nationale, les établissements scolaires ont abandonné progressivement les apprentissages.
Aujourd’hui, le collège de Bricquebec est le seul et le dernier collège de Normandie à proposer une initiation à la langue normande à hauteur d’une heure par semaine aux élèves volontaires de 6e et de 5e.
Alors, le collège de Bricbé, dernier des Mohicans ou le point de départ d’un renouveau de l’initiation à la langue normande ?
Comment enseigner la langue normande ?
En utilisant la méthode d’apprentissage du normand : V’n-ous d’aveu mei avec ses 30 leçons, méthode publiée par Hippolyte Gancel, docteur ès lettres, écrivain normand réputé, modernisée dans le Classeur Cours de normand.
Il est intéressant d’utiliser la chanson comme celles du groupe cotentinais Magène avec pour principal interprète Théo Capelle et les enfants de Quettetot dans l’excellent album « Caunchounettes ».
La chanson a un aspect ludique et aide à s’approprier la prononciation, l’accent, le vocabulaire et la grammaire d’une langue.
Faire découvrir de nombreux textes fort divers : contes, poèmes, théâtre, textes d’actualité et leurs auteurs : François Enault, Pierre Guéroult, Côtis-Capel, Maurice Fichet, …
La mise à disposition des élèves d’un lexique français/normand de plus de 1000 mots et d’un lexique normand/français.
(Paru en 2013 puis en 2016 sous boîtier en 2 volumes aux éditions Eurocibles à Marigny, 50, le Dictionnaire français/normand et normand/français compte respectivement 29 000 mots français/normand et 36 000 mots normand/français, il est déjà épuisé).