Réponse de Renaud Girard
Loin d’être anodine, la question est cruciale pour la survie du normand !
Elle renvoie à trois niveaux de langage et donc à une échelle de valeurs. Dans un classement hiérarchique, la langue sera élevée au niveau supérieur et aura la reconnaissance et le respect de tous, A l’inverse, le patoissera classé tout en bas de cette échelle et considéré comme la langue de populations incultes au « parler inférieur à la langue commune » (Cf. le Dictionnaire de linguistique, écrit par G, Moumin, Paris, PUF, 1974), Le qualificatif de dialecte est un peu moins péjoratif que celui de patois, mais désigne tout de même une dégradation régionale d’une langue (Voir l’article de Jacques Mauvoisin dans PTPN-Le Viquet, n°69, 1985). Un Virgile ou un Tite-Live à l’esprit obtus qui reviendrait parmi nous au XXIe s. considérerait le français comme un patois ou un dialecte du latin.
Encore aujourd’hui, pour beaucoup de personnes, parler « patois » va générer un complexe d’infériorité par crainte du mépris et du sentiment de supériorité que pourrait avoir en face de lui l’interlocuteur non initié, d’où un refoulement, une mise de côté et un oubli des parlers régionaux en France.
Linguistiquement, la langue, le dialecte et le patois sont égaux : tous les trois ont un vocabulaire, une syntaxe et une conjugaison. Le choix des trois qualificatifs est purement politique !
Comme au temps de la colonisation où un peuple d’Afrique était qualifié d’« ethnie » et sa langue de « dialecte » afin d’établir un rapport de dominé à dominant, une langue régionale sera arbitrairement rejetée par certaines autorités politiques, administratives et/ou éducatives et alors marginalisée et condamnée à une mort lente et inéluctable.
Longtemps, le gallo a été, parmi les langues d’oïl, la seule langue régionale reconnue officiellement par l’État français. Pourquoi ? Pour son originalité et sa richesse linguistique ? Pas du tout. Simplement, les élus de la moitié Est de la Bretagne ont su demander et ont obtenu en 2008 une reconnaissance de leur langue comme l’avaient déjà obtenue les Bretons de la moitié Ouest pour leur langue d’origine celtique.
En 2021, les Chtis ont enfin eu gain de cause avec la reconnaissance du picard comme langue régionale.
Et pour le normand toujours rien !!!
Pourtant, au travers de la Normandie, depuis plus cinquante ans, des particuliers, de nombreuses associations culturelles ainsi que des élus de droite comme de gauche ont fait et font des demandes auprès de l’Etat. Le blocage actuel se manifesterait dans un des étages du « mammouth » rue de Grenelle.
Alors, à quand enfin la reconnaissance par l’Education Nationale du normand comme langue régionale ?
Si, par passivité ou par ignorance, rien n’est décidé rapidement, l’agonie et la mort très prochaine d’une langue qui participe à la richesse et à la diversité culturelle de la Normandie, mais plus largement de la France, sera inévitable.
NDLR : Pour info, à la rentrée de septembre 2025, Renaud Girard anime au collège de Bricquebec trois « ateliers de normand », placés… le midi (de 13 h 10 à 13 h 45) ! Tout change et rien n’amende !