L’origine du normand … et du français

Un destin lié depuis la colonisation romaine
par Daniel Bourdelès

Langues et parlers romans

En France, jusqu’au début du 19e siècle, l’immense majorité de la population parlait, non le français, mais des langues régionales. Le latin, langue des colonisateurs romains, a abouti à plusieurs langues ou parlers romans : dans la moitié nord de la France, les langues d’oïl dans la moitié sud, les langues d’oc.
L’originalité du normand vient de l’influence des envahisseurs germains (4e et 5e siècles). Les scandinaves apporteront essentiellement le vocabulaire de la mer. Ce n’est que peu à peu que la langue de l’Ile-de-France – devenue le français – s’imposera comme langue officielle et littéraire.

Le tableau ci-dessous détaille les différentes étapes de l’évolution du latin vers le normand et le français. Il montre clairement que, à l’instar des espèces vivantes, les langues évoluent, se transforment et peuvent parfois mourir. Leurs fragiles destins sont, en effet, liés aux pouvoirs politiques ou économiques.

Ce tableau s’inspire, entre autres sources, des travaux de Charles Birette, lequel a publié en 1926 “Dialecte et légendes du Val de Saire”, remarquable ouvrage réédité en 1999 par l’éditeur Philippe Le Lanchon (Valognes).

Je crois, enfin, que ce tableau synoptique démontrera une fois pour toutes que les patois régionaux ne sont en aucun cas les sombres reliquats d’un français déformé, idée reçue qui a la peau dure.

Vers le 4e siècle

La langue gauloise, vieille de plusieurs siècles, demeure maternelle, mais le latin, langue des des colonisateurs romains, devient peu à peu la langue officielle.
Ce latin tardif n’est pas encore le latin classique que nous connaissons aujourd’hui.
A cette époque, on constate l’apparition des articles et d’une nouvelle façon d’exprimer le futur. On remarque aussi la généralisation des prépositions.

Avant le 9e siècle

Le latin est généralisé en Gaule. Il y est devenu la langue religieuse.
Le latin évolue vers des dialectes romans régionaux, lesquels subissent l’influence des langues étrangères voisines, germanique en particulier.
Au 9e siècle, Charlemagne forme ses élites au latin classique, mais l’Eglise conseille à ses prêtres d’effectuer leurs sermons en langue dialectale.

Du 9e au 12e siècle

Guillaume le Conquérant conquiert l’Angleterre (1066), y exportant la langue normande.
Le dialecte normand est dominant. C’est la langue littéraire du royaume. Henri II, petit-fils de Guillaume, possède tout l’ouest de la France, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande.

Notons que, malgré les conquêtes du territoire par les vikings, la langue normande n’a pas été profondément remaniée par le norrois, sauf en ce qui concerne le vocabulaire et, en partie, l’accentuation et les intonations. Ceci dit, l’apport scandinave a été clairement établi en ce qui concerne tout le vocabulaire maritime, transmis presque intégralement à la langue française par la suite.
La langue norroise semble avoir été pratiquée dans le Duché de Normandie pendant un peu plus d’un siècle (on trouvait même à Bayeux une université pour l’enseigner au XIème siècle) pour se fondre rapidement à la base romane.

” Plus de 100 ans avant que l’Ile-de-France et Paris devinssent, au 13e siècle, un centre de culture et de haute littérature, le “patois” normand avait produit “La chanson de Roland”, “Le roman de Rou”, “Le roman de Brut”, “Les poésies de Marie de France, cent autres…” (Le CANARD ENCHAINE du 14/8/85)

Du 13e au 16e siècle

Au 13e siècle, il existe 4 langues romanes principales en France d’oïl : le francien, le normand, le picard et le bourguignon.
Ces langues continuent d’être enrichies par l’apport des vocabulaires étrangers (germain, par ex.)

Entre le 14e et le 15e siècle, tous ces dialectes du nord de la France vont se fondre en une langue commune que nous dénommons aujourd’hui l’ancien français. Cet ancien français va s’imposer en tant que langue officielle, c’est-à-dire littéraire et administrative, des rois de France.
L’apparition de l’imprimerie (vers 1460) va faire progresser l’écrit. La phrase se structure désormais sous la forme sujet-verbe-complément.
François 1er déclare le “language maternel françois” langue officielle du royaume, en remplacement du latin.

Il est à noter que le normand, de par sa qualité de langue littéraire, va influencer fortement l’ancien français. Toutefois, celui-ci va être progressivement épuré et va abandonner certains caractères spécifiques du normand : le “h” aspiré (halaer), la tonique latine en “a” et la diphtongue forte “au” (hâot).
Littré observe que nous n’avons aucune indication sur la façon dont se prononçaient les mots au Moyen-âge. La tradition orale s’avère donc le seul guide de référence.

Du 16e au 19e siècle

L’ancien français, langue désormais dominante, va connaître de nombreux remaniements jusqu’à devenir le français d’aujourd’hui.
La première grammaire apparaît vers 1520, le premier dictionnaire “français” en 1606. l’Académie Française est créée en 1635.

Parallèlement, les autres langues régionales perdent leur caractère littéraire et n’évoluent donc quasiment plus. Elles sont parlées et transmises oralement par les paysans qui constituent l’essentiel de la population jusqu’au 18e siècle.

Le courant révolutionnaire vise l’éradication de tous les patois.
L’école obligatoire (en 1850) va accélérer ce processus d’extinction. La 3e République va même condamner officiellement l’emploi des langues régionales.
Au 19e siècle, les dialectologues sont très nombreux à s’intéresser aux parlers régionaux.

C’est à Rouen, au 17e siècle, que David Ferrand écrit sa “Muse normande”, un recueil de poésies satiriques qui regroupe 15000 vers.
Cet exemple sera suivi au 18e siècle dans la même veine d’inspiration par quelques auteurs. Au milieu du 19e siècle, George Métivier et d’autres écrivains de Guernesey vont s’exprimer dans leur langue régionale et déclencher un véritable développement de la création littéraire sur le continent jusqu’au début du 20e siècle.

20e siècle

Les langues régionales sont en déclin généralisé en Europe
L’anglais est devenue une langue internationale officielle
La langue française assimile de plus en plus de termes anglais
Le normand est en survie grâce aux associations qui le sauvegardent. A l’université de Caen, il est d’ores et déjà étudié comme une langue morte.

22e siècle (prospective)

La langue française, telle qu’on la parlait au début du 20e siècle, a quasiment disparu. Elle est remplacée par une langue anglo-française qui continue d’évoluer au contact des autres langues anglo-européennes.

Les langues régionales européennes ont toutes disparu. Quelques universités organisent des travaux de recherche sur ces nouvelles langues mortes.

Quelque part en France, une association de copains tente de sauvegarder et de promouvoir la langue française du 20e siècle. A cette fin, elle met en musique des textes français des 19e et 20e siècles sur des musiques du 22e siècle. Ca ne vous rappelle rien ?

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