Langue ou patois : le débat

” Je suis béarnais, occitan, français, européen et citoyen du monde. Je ne renie aucune de mes appartenances. Je refuse simplement que l’une d’entre elles exclue les autres. “
Magène ne peut qu’approuver cette déclaration humaniste de Nadau, formidable groupe du Béarn qui, lui aussi, se donne bien du mal pour sauvegarder sa langue du pays.

Le concept de langue

En France, jusqu’au début du 19e siècle, l’immense majorité de la population parlait, non le français, mais des langues régionales. Le latin, langue des colonisateurs romains, a abouti à plusieurs langues ou parlers romans : dans la moitié nord de la France, les langues d’oïl dans la moitié sud, les langues d’oc.
L’originalité du normand vient de l’influence des envahisseurs germains (4e et 5e siècles). Les scandinaves apporteront essentiellement le vocabulaire de la mer. Ce n’est que peu à peu que la langue de l’Ile-de-France – devenue le français – s’imposera comme langue officielle et littéraire.

Le tableau ci-dessous détaille les différentes étapes de l’évolution du latin vers le normand et le français. Il montre clairement que, à l’instar des espèces vivantes, les langues évoluent, se transforment et peuvent parfois mourir. Leurs fragiles destins sont, en effet, liés aux pouvoirs politiques ou économiques.

Ce tableau s’inspire, entre autres sources, des travaux de Charles Birette, lequel a publié en 1926 “Dialecte et légendes du Val de Saire”, remarquable ouvrage réédité en 1999 par l’éditeur Philippe Le Lanchon (Valognes).

Je crois, enfin, que ce tableau synoptique démontrera une fois pour toutes que les patois régionaux ne sont en aucun cas les sombres reliquats d’un français déformé, idée reçue qui a la peau dure.
Christophe C.

Les critères de définition

Je suis en train de travailler sur ce “délicat sujet”. Plus j’avance et plus je me dis que des “linguistes”, comme René LEPELLEY, (au milieu de bien d’autres) ont fait irrémédiablement du mal en reproduisant les poncifs de leurs maîtres qui étaient embarqués dans la spirale d’un mandarinat d’une autre époque.

Hippolyte GANCEL a dépoussiéré cela dans sa thèse de doctorat et il est à mon avis le seul a avoir suivi une démarche cartésienne, de non-allégeance aux pontifes pontifiants d’antan qui croyaient tout savoir et surtout le transmettaient sans le moindre esprit critique.

Jacques MAUVOISIN a précisé les contours du sujet en montrant bien que le Normand répondait allègrement aux trois critères indispensables pour être une langue :
– Le vocabulaire original et couvrant bien toute la zone linguistique
– La grammaire et la conjugaison avec leurs règles propres
– La production littéraire qui est abondante et fort ancienne avec de plus une orthographe encore mieux et plus vite normalisée que ne le fut celle du Français par l’Académie Française.

Il reste qu’au dessus de la ligne Joret, les “prononciations” de cette même langue se déclinent avec la personnalité du terroir de la Hague au Bessin ou dans les autres bassins où cette langue s’exprime, mais pas davantage qu’entre l’accent du Nord de la France d’avec celui de Marseille, du Béarn, de Savoie ou de Belgique ou de Suisse francophones. Il n’y a donc pas DES parlers mais une même langue qui se décline avec des oreilles et une manière de la “chanter” différentes. C’est tout !

Beaucoup de termes dits “d’ancien Français” sont d’origine normande tant le français d’Ile de France est un pidgin des langues d’Oïl régionales parlées par ceux qui immigraient à Paris, venant de toutes leurs provinces. Voir aussi l’influence du normand à la cour d’Angleterre puis à la cour du roi de France…

ITOU : Oui, itou a été emprunté au normand dans l’ancien Français pour les raisons que j’ai indiquées plus haut.
NEIRE : Ce n’est pas la prononciation normande qui dit “nei” fém “neire” & “neirchi”…
DREIT : “dreit” qui a le sens de “droit” a aussi celui de “direct, exactement, juste” et la prononciation “dreit” est bien plus proche du vieux “dextre” que “droit”
QUELQUE : Tout cela n’est que déclinaisons différentes à la prononciation et tout vient n droite ligne de “qualis quid”. Dire l’antériorité de “quelque” par rapport à “quique” est une imposture audacieuse comme cela arrive bien souvent dans ces cas puisque ce qui prévaut dans l’esprit des gens est que le Normand est une déformation du Français, de l’ancien Français bien sûr ! Mais non ! Il faut chercher avant d’en être sûr et de plus, dans ce sens-là, il n’y a aucune raison car les Normands, eux, ne bougeaient guère du fond de leur campagne…
Jean-Pierre Crespin – U.P.N. du Coutançais

Des variantes naturelles

DREIT
Non, dreit n’est pas la forme de l’ouest de droit puisque on a d’abord dit dreit y compris à Paris. Puis la prononciation a évolué à Paris de é à oué et à oua écrit oi. (Cf dict étymologique Le Robert : “Droit est issu (1050 dreit) du latin directus… ). Beaucoup de mots se prononcent et s’écrivent ei au 10è et 11è siècles puis oi au 13 è siècle, cherchez dans ce dict d’Alain Rey n’importe quel mot par ex “LOI n. f. d’abord /lei/ (vers 980) puis /loi/ ( XIIè)”… Donc droit est la forme française ayant évolué à partir de dreit (qui s’est maintenu dans l’Ouest) : la façon de dire cela est importante car de là découle l’idée d’une langue ancienne à part entière.

Les variations du normand n’empêchent pas de le qualifier de langue : les variations du breton (celte) et du corse sont bien plus importantes, et maintenant nul ne se risque à écrire que ce sont des patois ! Langue et patois sont des critères artificiels indiquant des rapports de domination et non des critères scientifiques. Toute langue a une grammaire même si elle a des variations locales. On ne peut pas parler si il n’y a pas de grammaire !!
Tout parler est une langue même si il n’a pas d’orthographe : cas de beaucoup de langues africaines (et il est toujours possible d’en inventer une, par ex les claquements de langue particuliers des Bushmen se transcrivent par des !).
Et de plus noute loceis (du latin locere = parler) a une littérature vivante !
Rémi Pézeril – Magène

L'usage et la grammaire

DREIT
Je suis d’accord avec toi. L’histoire phonologique du mot “dreit” est bien celle-ci à peu de choses près, mais l’étymologie en est plus complexe à ce que je me la représente…
Il y a en effet l’étymon latin “directus” qui a donné “dreit” puis “droué” puis “droit”, mais il y a aussi l’autre voie, tirée de “dexter” qui a donné d’abord “destre” en françois (tu vois que je respecte ta consigne orthographique !) C’est l’opposé de “senestre”. Dextre ou senestre, le choix des corbeaux pour sceller notre destin.
En outre le sens “droit” (angle droit) se retrouve aussi dans la racine “ortho”…
Selon Littré Droit, droite :
L’acception de ce mot au sens de opposé à gauche ne paraît pas remonter au delà du seizième siècle ; jusque-là, opposé à gauche s’était dit destre, du latin

GRAMMAIRE
Je suis là-dessus complètement d’accord avec Rémi. Pas de grammaire pas de langue ! Et les diverses dénominations utilisées pour nommer les langues ne sont que des artifices de domination, à deux titres au moins : (domination du pouvoir politique et domination du pouvoir des mandarins des universités.)
Langage, idiome, langue, parler, dialecte, parlure, lexie, jargon, baragouin, galimatias, charabia, argot, verlan, javanais, sabir, pidgin, créole etc… ne sont que des désignations superfétatoires pour mettre des jugements de valeur sur des manières de s’exprimer et les outils linguistiques qui y sont utilisés, j’en suis tout à fait convaincu.

LANGUES AFRICAINES
C’est d’ailleurs étonnant au possible que les mêmes linguistes distingués & émérites qui donnent le statut de langue à tous les idiomes africains n’hésitent pas un instant à taxer le normand de patois… On se prend à rêver que ce pourraît être – par anticipation – un effet de la discrimination positive…
Et de plus noute loceis (du latin locere = parler) a une littérature vivante
Jean-Pierre Crespin – U.P.N. du Coutançais

Un patois ? Allons donc...

Le normand un loceis bien campé !

Que diriez-vous de notre loceis normand ou de notre prêchi de la Hague, du Val de Saire, du Bauptois, du Coutançais, du Bessin ou du pays de Caux ?

  • Que c’est un idiome (lat idioma) ensemble des moyens d’expression d’une communauté correspondant à un mode de pensée spécifique ?
  • Un baragouin, une langue incompréhensible (du breton ‘bara’ (pain) & ‘gwin’ (vin) ; un langage incorrect et inintelligible et donc par extension une langue que l’on ne comprend pas et qui paraît barbare ?
  • Un dialecte (du grec ‘dialektos’ puis du latin ‘dialectus’) c’est à dire une variété régionale d’une langue ?
  • Un parler, une manière de parler ou comme le disent les linguistes ” l’ensemble des moyens d’expression employés par un groupe à l’intérieur d’un domaine linguistique ? => un parler régional…
  • Un charabia (de ‘charabiat’ émigrant auvergnat ou de l’espagnol ‘algarabia’ venant lui-même de l’arabe ‘algharbiya’ – langue de l’ouest berbère) langage de style incompréhensible ou grossièrement incorrect.
  • Un sabir ( de l’espagnol ‘saber’ savoir), jargon mêlé d’arabe, de français, d’espagnol, d’italien, parlé en Afrique du nord et dans le Levant ?
  • Un langage, un système de signes vocaux et/ou graphiques qui remplit la fonction de s’exprimer et de communiquer avec ses semblables ?
  • Un argot, cette langue des malfaiteurs, du milieu, de la pègre c’est à dire ” un ensemble oral de mots non-techniques qui plaisent à un groupe social donné… “
  • Un pidgin, c’est à dire un système linguistique composite plus complet qu’un sabir mélange d’une langue véhiculaire et d’un idiome autochtone ?
  • Un galimatias, (du latin ‘ballimathia’= chanson obscène) discours ou écrit confus, embrouillé, inintelligible ? Voire un amphigouri dans lequel le discours devient burlesque tant il est rempli de galimatias ?…
  • Un patois, ( ? du radical ‘patt’ exprimant la grossièreté), parler, dialecte local employé par une population généralement peu nombreuse, souvent rurale et dont la culture, le niveau de civilisation sont jugés comme inférieurs à ceux du milieu environnant (qui emploie la langue commune…)
  • Une langue, (du latin ‘lingua’) système d’expression du mental et de communication commun à un groupe social (communauté linguistique …) ?
  • Un jargon, (de ‘garg’ onomatopée = gosier ), langage corrompu, déformé, fait d’éléments disparates et partant, langage incompréhensible ?
  • Un créole, système linguistique mixte provenant du contact de plusieurs langues (français, espagnol, portugais, anglais, néerlandais avec des langues indigènes ou importées d’Afrique par exemple dans les Antilles et qui est devenu une langue maternelle ?

Parfois, vous entendrez parler de langues régionales, de français régionaux, de parlers régionaux ou locaux, de français régional de Normandie, de patois et dialectes de langues d’oïl. Les recouvrements qui sont effectués sont subtils et toujours teintés d’un coefficient de type hiérarchique avec comme référence première la langue officielle (i.e dominante) ainsi pour nous le français depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts promulguée par le bon roi François Ier en 1539. Bien avant tout cela, la Romania était constituée par l’ensemble des régions de langues issues du latin :

– Le domaine gallo-roman (langue d’oïl, langue d’oc et franco-provençal.)
– Le domaine italo-roman .
– Le domaine ibéro-roman.
– Le domainebalkano-roman (le roumain.)

S’agissant de ce loceis que nous parlons encore en Normandie (20 à 30000 locuteurs peut-être) il convient donc de le situer dans l’espace de la Romania à la fois comme langue d’oïl de l’ouest & du nord issue du latin et ayant eu des apports germaniques puis scandinaves relativement importants même si c’est sans doute la langue d’oïl qui est restée la plus fidèle à ses origines latines :

Latin – normand – français
Vespa – vêpe – guêpe
Cattu – cat – chat
Vacca – vaque – vache
Caminu – quemin – chemin
Calidu – caud – chaud
Cassanu – quêne – chêne
Gamba – gambe – jambe
Gardine – gardin – jardin
Junicia – géniche – génisse
Dulcia – douche – douce
Tractiare – trachi – tracer
Cauda – coue – queue

Le normand est donc une langue régionale d’oïl. La langue longtemps parlée en Normandie, bien avant que le français d’Ile de France devienne par autorité la langue nationale de la France entière. On peut même dire qu’il y a une antériorité du normand sur le français et qu’on parlait le normand à la cour d’Angleterre bien avant le français puis enfin l’anglais… Mais c’est une langue à part entière.

Les linguistes ont l’habitude d’exiger trois critères pour qu’une langue soit… une langue :
– Possède un vocabulaire largement original :

Latin => gallo-roman + germanique, saxon + vieux norrois (plus de 200 radicaux donnant environ 1000 mots) De nombreux glossaires et/ou dictionnaires en attestent (près de 60.)
– Possède une grammaire définie, des règles de conjugaison régulières (voir l’Essai de Grammaire de l’UPNdu Coutançais) & aussi une orthographe normalisée…
– Possède une production littéraire. Et là, elle est non seulement riche mais ancienne…

À tout cela s’ajoutent des considérations de culture, y compris un droit normand qui a encore voix au chapitre dans les îles dites anglo-normandes ainsi que des traditions dont on perçoit bien toute la finesse, l’humour et la spécificité normands dans la brochure de l’UPN du Coutançais ” Expressions, Proverbes & Dictons en langue normande… “

Il faut rappeler qu’une langue, selon les linguistes, est un système de signes vocaux ou scripturaux propre aux membres d’une communauté et leur permettant de communiquer entre eux. Elle peut n’avoir que quelques dizaines de locuteurs aussi bien que des centaines de millions. En France, par exemple, le breton est une langue au même titre que le français, même s’il ne bénéficie pas d’une diffusion aussi large.

On emploie le terme dialecte pour désigner la forme régionale d’une langue. Le normand ou le picard (de même que le wallon belge) sont des dialectes du français. L’arabe dialectal est la langue parlée au quotidien, par opposition à l’arabe classique enseigné à l’école et utilisé à l’écrit. Il varie souvent considérablement d’un pays à l’autre, tant au niveau de la syntaxe et du vocabulaire que de la prononciation.

Autre notion, celle de parler : celui-ci est utilisé sur une aire beaucoup plus restreinte que le dialecte : dans une zone montagneuse particulière, dans un groupe de village…

Pour ce qui est du patois, il équivaut au dialecte ou au parler, mais avec une connotation péjorative.

En fait, pour éviter toute confusion, mieux vaut retenir le terme général d’idiome : il recouvre aussi bien la notion de langue que celles de dialecte, de parler ou de patois.

La limite méridionale de la langue normande est donnée par la ligne Joret au dessus de la quelle l’emporte le ” k ” sur le ” ch “
Jean-Pierre Crespin – U.P.N. du Coutançais

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