Vocabulaire des pluies normandes

Brouillards, crachins, petites pluies, averses, fortes plus et éclaircies ont tous leurs petits lexiques normands !

40 termes pour évoquer les pluies...

On dit que les Inuits peuvent exprimer la neige avec plus de 20 mots différents, tout comme ils désignent la glace d’un nom différent selon son degré de résistance. C’est sans doute la même chose chez les Touaregs quand ils évoquent le désert. A chacun son environnement : en Normandie, convenons que la pluie fait référence ! Un jour …de pluie, alors que nous élaborions près du feu quelques projets de chansons, Marcel Dalarun entama une envolée sur le vocabulaire des pluies. Depuis, nous complétons tous ensemble cette rubrique et nous vous invitons à nous envoyer vos trouvailles.

Chaque mot qualifie un type de pluie bien défini, même s’il semble y avoir ressemblance entre certains termes. Ouvrez vos pépins !

 

“Rouogie du matin met la mare oû quemin. Rouogie du sei met la mare à sé.”
(Ciel rouge du matin fait déborder la mare sur le chemin. Ciel rouge du soir met la mare à sec. )

les brouillards

  • C’est le “broussin”, la “brousse”, la “bllâse”, le “buhan” (cf l’Abbé Toussaint).
  • La “breune purante” est un brouillard qui se condense en eau.
  • Avant le crachin,il se peut que le temps soit “mucre”, imprégnant tout d’une désagréable humidité.
  • Il peut aussi “avriller”, c’est-à-dire faire un temps doux et humide.

Dictons :

“Breune dauns la vallée, fais ta jouornée, breune sus les mounts, reste à la maisoun.”

“Broussins dauns les avents, byin des poumes ès Normaunds.”
( Crachins pendant les avents (les 4 semaines qui précèdent Noël), bien des pommes à venir pour les Normands. )

les crachins

  • Quand il crachine faiblement, on dit qu’il “brouollache”, ou encore qu’il “broussène”. “Y’a de la brousse, mille brins à la pousse !” (dicton de Guernesey)
  • Il peut simplement “brouolli”, c’est-à-dire crachiner en brouillard. Dans ce cas, on dit aussi qu’il “pllouène”.
  • Enfin, si le crachin s’accentue, on dit qu’il “brouasse”.

“Mucre” vient du scandinave “mygla” (moisissure) et “mykr” (fumier). “Ramucri” est un verbe toujours usité chez nous qui signifie mouiller le linge pour le repasser.

A la fin du 12e siècle, on note l’existence du mot “broeine” (bruine).

Au 14e siècle, on trouve les traces des mots “broe” et “broue” (brouillard blanc).

les petites pluies

  • “Eune pissie de cat”, “eune pissie de ranne” (rainette) ou encore “eune petite iâo”, c’est une petite averse sans conséquence.
  • Il peut “pleuvinaer”, “plouvinaer”, “plouvotaer”, “pluviâotaer”.
  • “Eune rapillie”est une petite ondée.
  • Il peut aussi “plleuvachi” ou “boucailli” quand la pluie, bien que faible, est plutôt gênante.
  • La “riplleure” est particulière : il pleut et il fait soleil en même temps.
  • Les “breumâs” sont des petites brumes s’élevant du sol quand il pleut.

les averses

  • “Eune puchie” se situe entre la simple pluie et l’averse.
  • “Eune ondaée”, de même qu’ “eune tapaée”, c’est une averse passagère. Elle devient “eune harée” si elle se fait plus dense, ou “eune pichée”, ou “eune dégelée”.
  • “Eune grêlaée”, c’est une averse de grêle.
  • La pluie peut être la bienvenue quand elle survient après une période de sécheresse : “I tumbe des pyiches dé chent sous” (il tombe des pièces de cent sous).
  • “Eune chilaée”, c’est une sacrée averse ! Mais il y a plus fort : la “lâchie”, quand le vent s’en mêle, et surtout “l’afllas d’iâo” ou “l’achanaée”, le summum !
  • S’il pleut abondamment, on dit qu’il “verse”, ou qu’il “vase”, ou que “cha tumbe à crase”, ou encore que “cha décllaque” (Denys Corbet, Guernesey), que “cha délache” ou que “cha déquerque” (Val de saire).
  • “Acrasaer de plleure”, c’est pleuvoir à verse (Maurice Fichet).
  • “Versaer coume la mé”, quand il pleut à verse.

“Puchie” vient du normano-picard “puch”, issu du latin “puteum” (puits).

“Achanée” vient de “chaable” (situé en 1080), issu du latin populaire “catabela” qui signifie “bois abattu par la force du vent”.

“Chaable” a donné “chaant”, lequel a donné “cheoir” (choir, tomber).

les fortes pluies

(Si votre “parapie” a résisté jusqu’ici !)

  • Gare à la “vouéchie”, mélange agressif d’eau et de vent…
  • A la “dépêlaée” (de pêle : bassine), ou à “l’ernâpée”, quand il pleut à seaux.
  • A la “décllavée”, à la “rabannaée d’iâo” (Hte Norm), à “l’abât d’iâo”, pluie très lourde qui saura vous tremper jusqu’à l’os.
  • Alors, vous direz : “I tumbe dé l’iâo à béda !”, c’est-à-dire en quantité, ou encore “I tumbe à pelaées” ou à “fllés” (à fléaux), “à siâotaées” (à seaux), “à câodrounaées” (à pleins chaudrons) …
    On retrouve certaines de ces expressions au Québec : “I mouille à siâos”.
  • “Cha tumbe d’abât”, “cha écrase”, “cha verse”…
  • Il peut pleuvoir “à trapinaées” (Louis Beuve 22/10/1918), à “vaque qui pisse”.
  • Pour aller plus loin dans l’émotion liquide, quand la pluie claque violemment sur les fenêtres, on  constate qu’il “foëdrâle”.
  • Enfin, quand il pleut tant que la terre est incapable d’absorber l’eau, on se souviendra d’une belle “assoume d’iâo”.

“A beda” vient de “bédache” (la bedaine) et évoque donc le contenu d’un gros ventre. Pour la petite histoire, la “bedondaine” est, vers 1845, une sorte de cornemuse à grosse panse !

Une “trapinaée”, c’est une grande quantité car c’est le contenu d’un grand panier en osier: le trapin. Il s’agit d’un mot francique, tout comme “trappe” en français. Trappe voulait d’abord dire piège (trou recouvert de branchages) avant d’être une ouverture dans un plancher.

Après la pluie

  • Après la pluie, “cha dépure” (dégouline).
  • Il peut y avoir des “revelins” (restes de pluies.
  • “I s’ar’sitch” (patois de Blainville/mer) signifie qu’il cesse de pleuvoir et que le temps devient progressivement plus sec.

Dans son “Folklore de Guernesey”, Marie de Garis énumère un grand nombre de dictons relatifs au temps qu’il fait. Choisissons cette série sur la prophétie de l’arc-en-ciel :

  • “L’ardalliance du matin fait la mare au ch’min” (the morning rainbow makes puddles on the highway)
  • “L’ardalliance du mejeu ouvre lé parapie du moussieu” (the midday rainbow opens the gentleman’s umbrella)
  • “L’ardalliance du saër est belle à vei” (the evening rainbow is beautiful to behold – a sign of fine weather to come)

Un autre dicton entendu à Carteret :

  • “Bllaunche mé et neir Jérri, y a d’ l’iâo à pllens pannyis”

Cette rubrique prouve que le normand possède un vocabulaire plus riche, et surtout beaucoup plus imagé et précis que le français en ce qui concerne les éléments concrets de la vie quotidienne (nature, maladies, etc…). Par ailleurs, les innombrables dictons constituent à eux seuls une  mine d’informations sur le vocabulaire populaire. Ne trouvez-vous pas cette lapalissade normande pleine de bon sens : “Quaund il plleut, ch’est sène de mâovais temps” ?

Allez, ne vous laissez pas troubler par ces évocations humides : sous le soleil, la Normandie demeure l’une des plus belles régions qui soient !

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