La parenté du normand et de l’anglais

L’anglais n’est pas que la langue du génial Shakespeare. C’est aujourd’hui celle des affaires, de l’informatique… L’anglais s’impose partout, n’est-il point ? C’est une langue dominante. Savez-vous qu’une bonne moitié du vocabulaire anglais est d’origine française et surtout normande. Irons-nous jusqu’à dire que les mots normands circulent désormais partout sur la planète ?

Stéphane Jourdan, linguiste, a ses racines dans l’arpitanie (domaine franco-provençal). A la suite d’un voyage dans le Pacifique, il s’intéresse à la toponymie polynésienne et se découvre une passion pour la linguistique. Il travaille depuis 2005 sur la diction française traditionnelle. Nous le remercions d’avoir rédigé cet article pour notre site.

L'anglais

L’anglais s’est développé en Grande-Bretagne sur un substrat celte, toujours présent sur ses marges (on négligera l’éventuel peuplement préceltique de la région, peu documenté). Curieusement, si ce substrat a laissé des traces évidentes dans la toponymie de la Grande-Bretagne, l’anglais est pratiquement dépourvu de mots de cette origine.

Des peuples germaniques issus de ce qui est aujourd’hui l’Allemagne et la Hollande on colonisé (politiquement et physiquement) cette région auparavant celtique, occupé principalement par les Britons (une tribu celte dont une partie a alors émigré sur le continent, fondant ainsi la (petite) Bretagne; la langue bretonne descend de cette ancienne langue britone, pas du gaulois). D’autres colons germaniques sont venus de ce qui est aujourd’hui la Scandinavie : les Vikings et ont aussi pu influencer l’anglais.

Mais l’événement crucial pour la langue “anglaise” se produit quand des descendants de vikings installés en France depuis plusieurs générations se lancent à la conquête de l’Angleterre et la subjuguent; il s’agit de l’aventure de Guillaume le conquérant. Ces “Normands” sont toujours des vikings, du moins dans leur mentalité (“par Odin, je vois une île de l’autre côté de cette petite mer, monseigneur, et si on allait la conquérir demain matin ?”) mais au cours de ce long séjour à proximité de la Seine, ils ont perdu la langue de leurs ancêtres (bien que certains mots scandinaves survivent évidemment en Normandie cf. la page de notre ami Gilles Mauger) et ont adopté le dialecte local, une variété de la langue d’Oïl.
Quelquefois évoqué sous le nom d’anglo-normand ou simplement comme de l’ancien français selon les sources, il s’agissait en réalité d’un dialecte normand, proche aussi du picard, c’est à dire pas très éloigné du parler popularisé récemment par le film “Bienvenue chez les Chtis”.

Mots empruntés par l'anglais à la langue d'oïl et au normand

Il vaut mieux écrire “à la langue d’oïl” que “au français” car il faut imaginer que la langue française, comme toutes les autres langues avant l’ère des communications rapides (mais certaines comme l’allemand et l’italien le sont toujours) était alors composée de dialectes. Comme on l’a déjà expliqué, la principale source de mots “français” en anglais a été un de ses dialectes, le normand. Or le normand, avec ses voisins le picard et le Chtimi ont pour particularité, au sein de la langue d’oïl, de ne pas avoir subi tout à fait la même évolution consonantique que les autres dialectes typiques.

Similitudes phonétiques normand / anglais

Une évolution caractéristique du français, par rapport aux autres langues latines est en effet la palatalisation des [k] en [ch]. C’est pourquoi on a “chanter”, à comparer à l’espagnol “cantar” (du latin cantare) mais le normand et le picard ont par contre gardé “cainter”…(Littré).

En revanche, ces deux dialectes ont palatalisé les sifflantes [s]>[ch].

Et si un mot contient les deux sons en français ? (à partir de là c’est pas dans le film : d’ailleurs ils ont vraiment loupé une bonne vanne : qu’est-ce que tu fais ? Je chie …un tronc (je scie)…)

Nous disions donc que si un mot contient les deux sons, comme “chasser” en français, on doit trouver en Picard et en Normand : “Cacher” (c’est effectivement ce qu’indique le Littré, un des rares dictionnaires à donner les variantes dialectales du français).

Avant de nous lancher dans des exemples, il faut encore préchiser que l’orthographe du mot emprunté par l’anglais peut être la même qu’en français ou très différente. Les mots qui ont une orthographe proche ou identique à celle du français actuel ont pu être empruntés avec une conscience de la forme écrite, ou bien empruntés oralement puis leur forme écrite a pu être refaite sur le français plus tard (n’oublions pas que nous sommes voisins, et que nous l’avons toujours été). Enfin certains mots ont visiblement été empruntés sous forme orale et retranscrits au petit bonheur la chance. D’autre enfin, ont dû être empruntés sous forme écrite, puis reprononcés à l’anglaise, ce qui expliquerait la diphtongue dans “sign” [sain], mot prononcé avec un [i] dans toutes les langues romanes… Souvente fois, on observe un certain flottement, pour ne pas dire une certaine poésie, dans la signification finale de l’emprunt qui reflète la totale improvisation avec laquelle ces phénomènes ont eu lieu…

Quelques mots anglais qui sont familiers aux Normands

K : le son k du latin a été palatalisé en français mais non en normand/anglais. Ce phénomène
est signalé par un K.
S : le son s latin a été palatalisé en normand/anglais, ce phénomène est signalé par un S.

 normand (français) = anglais

  • acataer (acheter) = to cater (K)
  • aisi (facile) = easy
  • baconel (viande de porc) = bacon
  • basquette (corbeille) = basket
  • botèle (bouteille) = bottel
  • brosse = brush (S)
  • candèle (chandelle) = candle
  • cachi (chasser, attraper) = to catch (K + S) (La chuintante T est devenue affriquée. Attraper, c’est d’ailleurs le sens originel. L’acception actuelle en français : courir après, faire partir, étant un sens dérivé.)
  • caisse = cash (comptant) (S)
  • câodroun (chaudron) = cauldron (K)
  • car (char) = car
  • cat (chat) = cat
  • caté (château) = castle
  • chérise (cerise) = cherry
  • chucre (sucre) = sugar
  • coquile (coquille) = cockle
  • cottin (cottage) = cottage
  • couochin (coussin) = cushion (S)
  • couté (couteau) = cutter
  • creissaunt (croissant) = crescent
  • crochi (crochet) = crocket (K)
  • détouorbaer (gêner) = to disturb
  • dînaer (diner) = to dine (prononcer to daïne)
  • dogue (chien) = dog
  • écapaer (échapper) = to escape
  • espiqui, espiquaer (expliquer) = to speak
  • féchoun (façon) = fashion
  • fère (foire) = fair
  • fllé (fléau) = flail
  • fllip (flip) = flip
  • fouorque (fourche) = fork
  • gardin (jardin) = garden
  • grédin (radin) = greddy
  • hardi (bien portant) = hardy
  • itou (aussi) = too
  • kanne (cruche en cuivre) = can
  • le quart mens dé treis heures (trois heures moins le quart) = a quarter to three
  • mâr (Mars) = march (K + S)
  • marchi (marché) = market
  • moque (grosse tasse) = mug
  • peire (poire) = pear
  • peis (pois) = peas
  • pouquette (poche) = pocket
  • pouor (pauvre) = poor
  • quaire (chaise) = chair
  • querriaer (charrier) = to carry (K)
  • quérogne (charogne) = carrion (K)
  • rade (allée, route) = road
  • ritouornaer = return
  • roque (roche) = roc
  • saqui (secouer) = to shake
  • surelle (oseille) = sorrel
  • viquet (petite porte) = wicket
  • vipaer (crier) = to weep
  • vos avaez arrivé (vous êtes arrivé) = you have arrived
  • vouéchi, ouéchi (laver) = to wash

Un site (anglais) met en ligne un dictionnaire et une base de recherche du lexique anglo-normand
Bien fait et pratique. On peut y réaliser combien la langue normande a apporté à l’anglais moderne.

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